Les mutilations génitales et leurs conséquences

13.06.2024 Santé

Entretien avec la professeure Annette Kuhn, spécialiste en gynécologie et en obstétrique, gynécologie et obstétrique opératoires, urogynécologie, hôpital de l’Île de Berne.

Quel est le nombre de mutilations génitales féminines pratiquées en Suisse?

C’est difficile à dire, étant donné le grand nombre de cas non répertoriés. Il ne peut s’agir que d’estimations. En Suisse, les migrantes ne vont pas chez le gynécologue, car les rendez-vous réguliers chez le médecin ne sont pas chose courante dans leur pays d’origine ni dans leur culture. Ainsi, les chiffres sont donnés uniquement à titre indicatif. D’après l’association Terre des Femmes, entre 7500 et 15 000 fillettes seraient concernées. C’est un chiffre très large, car les femmes ne sont pas encore prises en compte. On peut ainsi parler de milliers de femmes et de fillettes vivant en Suisse.

 

Les femmes et les fillettes arrivent-elles en Suisse déjà mutilées ou les mutilations sont-elles aussi subies ici en Suisse?

La plupart des fillettes et des femmes sont mutilées à l’étranger. Je suis convaincue que les médecins reconnu(e)s ne pratiqueraient jamais cela en Suisse. Il est cependant difficile d’exclure complètement cette option. Dans l’ensemble, les gynécologues savent très bien que la mutilation génitale est interdite en Suisse. Une lettre et un manuel sont même distribués aux professionnels afin que ces derniers sachent comment se comporter face à ce problème. Le cas échéant, une très faible minorité de mutilations sont pratiquées en Suisse.

 

Comment les médecins suisses sont-ils confrontés à la thématique des mutilations génitales?

A la clinique gynécologique de Berne, nous sommes confrontés aux mutilations génitales dans plusieurs services. En obstétrique, lorsque les femmes viennent en consultation prénatale, nous leur expliquons ce que l’excision implique pour l’accouchement à venir, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Lors des après-midis d’information organisés ici à Berne par une collègue, une sage-femme et moi-même, nous discutons de ce sujet et invitons les femmes concernées à nous considérer comme un point de contact. Lors de la consultation gynécologique, tous les problèmes possibles peuvent être abordés: difficultés pour uriner, douleurs pendant les rapports sexuels, problèmes pour tomber enceinte, savoir si l’excision est réversible et troubles psychologiques. Les personnels gynécologiques et obstétriques sont confrontés à ces questions.

 

Quelle est la réaction des personnes concernées issues de différentes cultures lorsque vous les informez sur le sujet ou que vous vous référez à la loi

Rencontrez-vous des obstacles lorsque vous, en tant qu’Européenne, luttez contre cette pratique?
J’ai un petit avantage: comme j’ai travaillé deux ans au Soudan, je parle soudanais. C’est beaucoup plus facile pour moi sans la barrière de la langue. Mais globalement, il s’agit d’un sujet tabou, tant ici en «Occident» que là-bas, au Soudan par exemple. Les gens n’aiment pas que l’on perçoive leurs traditions comme «primitives». De manière générale, c’est un sujet compliqué à aborder car dans de nombreuses cultures, on ne parle pas de problèmes intimes, sauf en cas d’urgence. Nous nous devons donc de faire preuve d’une grande délicatesse. Avec le travail d’éducation que nous menons depuis dix ans dans la clinique gynécologique, nous constatons cependant que les femmes osent de plus en plus poser des questions lors des séances d’information et elles se montrent plus ouvertes. En particulier les jeunes femmes. Bien que l’excision soit encore un sujet tabou pour les femmes, nous ne pouvons pas l’ignorer. Il faut en parler car les handicaps physiques et les problèmes psychologiques qui en résultent ne peuvent pas être minimisés ou ignorés. C’est comme quand quelqu’un est diagnostiqué séropositif, je ne peux pas prétendre que tout va bien. Il faut par exemple aborder la manière dont l’infection s’est produite et les solutions possibles pour y remédier, même si cela n’est pas opportun. Il est de notre devoir d’expliquer les conséquences de l’excision et de faire en sorte que celle-ci cesse. Bien sûr, c’est compliqué car nous nous heurtons à des barrières culturelles. La tradition d’exciser les fillettes remonte à des millénaires et, dans certaines cultures, elle est donc profondément ancrée dans les esprits.

Ce projet contribue à atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies :

Le professeur Kuhn est spécialiste en gynécologie, obstétrique et urogynécologie à l'hôpital de l'Île à Berne.

Quelles sont les conséquences pour les femmes excisées?

Miction difficile, rapports sexuels parfois impossibles ou très douloureux, complications lors de l’accouchement, mais les traumatismes et la stérilité sont également des conséquences à ne pas négliger. La stérilité en particulier pose de sérieux problèmes. On peut dire qu’à elle seule, cette situation conduit à un avilissement important: dans ces cultures, les femmes stériles sont considérées comme les premières coupables et sont bien souvent exclues de leur communauté. Tout d’abord, il en résulte un stress émotionnel qui est rapidement dépassé par l’aspect économique. En effet, la femme n’a pas de formation et ne peut pas s’assumer seule financièrement. Si une femme reste avec son mari parce qu’il l’aime peut-être et ne veut pas la renier, alors le piège économique se referme ici aussi parce qu’il n’y a pas de régime de retraite dans ces pays. Ainsi, un couple marié n’est en sécurité économique à long terme que s’il a suffisamment d’enfants. Malheureusement, le niveau d’éducation de la population est souvent très bas et c’est d’autant plus vrai dans les régions rurales. Sinon, les femmes sauraient que l’excision nuit à leur fertilité et que, ne pouvant avoir de nombreux enfants, elles risquent de ne plus pouvoir prétendre à l’unique forme d’assurance-vieillesse.

 

Comment parvient-on à faire évoluer les mentalités dans les cultures et dans les pays concernés?

Il est important que ce changement vienne de la population. Il y a beaucoup de femmes en Somalie, en Ethiopie ou au Kenya qui se battent pour leurs droits. Elles sont une des leurs et, dans ces pays, il est cent fois plus efficace pour les habitants de mener leur propre réflexion que si c’est moi qui la conduis. Il est également préférable qu’un imam local signale à la population que le Coran stipule que tout le monde devrait avoir un corps intact, y compris les femmes.

Responsable Contenus :

David Becker

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